Après la lutte contre la pandémie, il faut une cure de sécurité sociale
Dernière mise à jour : 8 avr.
Avril 2020

La lutte contre la pandémie en Suisse a moins sévèrement limité les libertés civiles et économiques que dans les grands pays voisins. Malgré cela, les dégâts sont impressionnants, comme le montrent les chiffres que présentera Daniel Lampart. Du point de vue des salariés, les inégalités se sont creusées brutalement et les pertes de pouvoir d’achat, c’est-à-dire de pouvoir vivre normalement, sont énormes. Il suffit de réaliser qu’aujourd’hui plus de 550 000 salariés dépendent de l’assurance-chômage dans notre pays, soit 450 000 de plus qu’en début 2020. Ils se répartissent entre 400 000 personnes au chômage partiel et 50 000 chômeurs de plus. Ce demi-million de salariés vivent et doivent faire vivre leur famille avec au moins 20% de revenu en moins depuis des mois.
Il faut ajouter à cette population celle des indépendants qui vit avec le revenu plafonné de la nouvelle assurance perte de gains créée pour assurer un revenu aux personnes dont le travail a été interdit du jour au lendemain et pour des mois. Pour des centaines de milliers de personnes supplémentaires, cette pandémie a provoqué un appauvrissement brutal et une destruction des perspectives économiques.
Enfin, il faut ajouter les jeunes, qui ne bénéficient pas du chômage, mais qui ont perdu les petits jobs d’appoint, indispensables à leur équilibre financier, ainsi que de nombreuses chances de trouver un stage ou un premier emploi.
Si des manifestations de colère et de désespoir apparaissent, y compris dans notre Suisse jusque-là si tranquille, c’est sur le fond de cette crise sociale. Et ce n’est qu’un timide avertissement. Les millions de personnes qui ont traversé cette crise sans perte de revenu ou sans crainte de perte de leur emploi ont malheureusement de la peine à comprendre cette colère qui monte et la violence du sentiment d’injustice qui touche une partie importante et déjà précarisée de la population. Face à une maladie dont personne n’est responsable, le coût de la lutte sanitaire a été injustement réparti. Comme syndicats, nous avons tout fait pour que la Confédération et les Cantons s’efforcent de répartir le coût de cette lutte équitablement, sur l’entier de la collectivité, en assumant le coût du remplacement des salaires et en protégeant au maximum l’emploi. Nos efforts ont limité la casse, mais n’ont pas empêché cette répartition injuste des coûts de cette crise.
A l’échelle du monde, la situation est naturellement bien plus alarmante. Lors d’une récente rencontre organisée par le président de la Confédération, le directeur général de l’OIT, Guy Rider, nous a appris le chiffre astronomique de 255 millions d’emplois supprimés dans le monde depuis le début de la pandémie. Les conséquences économiques, sociales et également sanitaires de ce massacre de l’emploi dans le monde sont encore incalculables.
Ajoutons à ce sombre tableau les montagnes de dette accumulées qui risquent d’entraîner de nouvelles politiques d’austérité et donc d’affaiblir encore les systèmes de santé, alors qu’au contraire la pandémie nous a montré à quel point leur renforcement est décisif pour se préparer aux risques futurs et au défi démographique.
Ceux qui se faisaient des illusions sur le monde d’après devront rapidement ouvrir les yeux. Le monde d’après est plus injuste et plus dangereux, particulièrement envers les personnes à faible revenu, envers les jeunes et les femmes. Et il fait peser une lourde menace sur ce qu’il reste du service public de santé dans le monde.

Partout, et aussi en Suisse, les États doivent comprendre que leur rôle ne s’arrêtera pas au moment où la pandémie entamera enfin une décrue durable. A tort ou à raison, les populations menacées dans leur existence et leurs chances d’avenir vont imputer aux politiques menées par les États la responsabilité de leur situation. Des majorités, dans les sondages, à des degrés divers, soutiennent les politiques conduites et reconnaissent l’extrême difficulté de la tâche des gouvernements dans cette situation. Mais le décrochage de couches de la population aussi nombreuses et, dans certains cas, aussi désespérées est une menace pour la cohésion sociale et à bien des égards également pour nos démocraties. Les États auront donc une tâche aussi lourde dans le domaine économique et social que dans le domaine sanitaire. Comme après la seconde guerre mondiale, il est temps d’ouvrir une nouvelle ère de sécurité sociale pour recréer la confiance sans laquelle aucun redémarrage économique ne sera possible.
La nouvelle administration Biden aux USA a compris cette nécessité. En Europe et en Suisse aussi, il faut investir dans les infrastructures d’avenir et renforcer la sécurité sociale et le service public. Il ne doit pas être question de démanteler ce qui a été mis en place pendant la crise, mais bien au contraire, il faut le développer et apporter sécurité et perspectives à toutes celles et ceux qui ont été violemment touchés par le choc que nous vivons.
Dans les mois qui viennent, nous demandons à la Confédération, aux cantons et aux organisations patronales de s’engager dans quatre orientations de façon rapide et concrète :
De faire en sorte que tous les jeunes du pays aient à la rentrée 2021 une formation, une formation professionnelle ou un premier emploi. C’est le retour de solidarité que nous devons à cette génération qui a accepté de lourds sacrifices pendant cette crise et dont nous aurons besoin de toutes les forces et qualifications pour affronter les défis démographiques et environnementaux.
De maintenir les aides Covid un certain temps après la réouverture et progressivement de les reconvertir en instrument de relance des secteurs fermés pendant la crise
De renforcer tous les réseaux et effectifs dédiés à la première ligne de soins, en rétablissant des logiques de subvention directe en complément des systèmes de financement à l’activité en vigueur et afin de permettre le maintien de réserves de capacités pour l’automne et l’hiver prochain
D’étendre et renforcer le partenariat social et la régulation des conditions de travail par des conventions collectives là où elles n’existent pas. Le partenariat social est une des forces de la Suisse, nous en avons besoin plus que jamais. Il doit nous permettre d’améliorer les salaires dans les nouveaux secteurs en croissance et de rattraper les pertes de pouvoir d’achat subies ces derniers mois par une importante partie du monde du travail
Vania Alleva, Daniel Münger et Daniel Lampart vont compléter et illustrer mes propos dans les interventions suivantes.
Pour aller plus loin :