"La classe ouvrière existe et on doit la représenter"
Dernière mise à jour : 19 mars
Extrait du Fil Rouge, journal du Parti Socialiste Vaudois

Pierre-Yves, au vu des dé-faites électorales en Italie, en Suède et en France, du scandale qui secoue le parlement européen, le socialisme a-t-il mal à son image?
C'est clair que les partis de la social-démocratie sont en situation difficile autour de nous. Le PS français a offert un spectacle désastreux. En Italie, il n’y a plus vraiment de gauche. Le mot socialiste a d’ailleurs été effacé dans les années 90 au profit de la dénomination parti démocrate. On a constaté dans ces partis une volonté de s’affadir en s’ouvrant au libéralisme économique et en sortant de l’idée de base du socialisme qui est de défendre le monde du travail. Quand l’offre de gauche n’est plus solide, les gens dans la précarité se tournent vers l’extrême-droite, comme cela a été le cas l’année dernière en Italie et en France.
Quelle analyse fais-tu de la Suisse, où le PS a subi des pertes tant aux élections fédérales de 2019 que dans les derniers scrutins cantonaux neuchâtelois, fribourgeois et vaudois?
Il faut relativiser nos pertes par rapport à d’autres à l’étran-ger, en particulier en France. Dans le canton de Vaud, nous restons à environ 20%. Au début des années 2000, quand les gouvernements Blair en Grande Bretagne et Schröder en Allemagne se sont ouverts au libéralisme, notamment dans le domaine du service public et de la politique sociale, nous avons fait le choix de nous opposer à cette libéralisation et les événements récents montrent que notre option était juste, par exemple face à la libéralisation de l’électricité. Notre électorat nous est resté fidèle. N’oublie pas que jusqu’à la fin des années 80, dans le canton de Vaud, les socialistes étaient minoritaires tant dans les grandes villes qu’au niveau cantonal. Quelque vingt ans plus tard, nous avons conquis la majorité au Conseil d’État et presque toutes les les étaient – et sont encore – à majorité de gauche. La situation actuelle n’est donc pas si grave à condition de rester fermes sur nos convictions. Nous devons défendre celles et ceux qui sont mal payé·es. Dans un canton qui a refusé AVS21 à 63%, nous avons des choses à dire et à faire.
On remarque que les pertes socialistes ont avant tout profité aux Vert·e·s. Est-ce à dire que les choix de l’électorat populaire ont évolué vers davantage d’écologie?
Les Vert·e·s, c’est le parti de l’écologie. Au PS, tant notre histoire que notre priorité sont liées à la question sociale, même si nous nous rejoignons sur ce thème important. Et nos deux partis sont alliés, ce qui signifie que nous votons leurs propositions et qu’ils votent les nôtres. Notre priorité sociale est décisive aussi pour la question écologique: quand les gens ont leur frigo vide, on ne peut guère leur parler de sobriété. Si notre combat politique peut permettre à toutes et tous d’avoir des fins de mois plus sereines, alors chacune et chacun sera plus ouvert et ouverte à d’autres sujets sociétaux. Ce qui ne nous empêche pas au PS d'être actif dans la planification énergétique et pour que nous ayons des transports en commun universels et rationnels.
Le monde ouvrier n’est plus celui des grandes entreprises industrielles dont beaucoup ont dis-paru. Le parti a-t-il su s’adapter à l’évolution de cette classe populaire vers le secteur tertiaire?
La classe ouvrière existe encore. On trouve, aujourd’hui autant qu’avant, des centaines de milliers de personnes qui travaillent dans des conditions difficiles avec des faibles revenus. Alors, c’est vrai, la classe ouvrière s’est en partie modifiée. Elle est plus féminine et beaucoup de ses emplois sont dans les services. Mais je crois qu’on doit continuer à utiliser cette notion plutôt que «couches populaires» par exemple. Chez un ouvrier, le salaire couvre généralement à peine les charges. Il y a peu de place pour l’accumulation et la transmission de patrimoine. Ouvrier, c’est aussi le savoir-faire, une formation, un CFC. Et c’est également une présence physique comme on l’a vu pendant les semaines du confinement pour le personnel soignant, les caissières de magasins, les maçons, les livreurs, les policiers, etc. Leur travail ne peut se faire en home office.C’est le rôle historique du PS d’être du côté de ce monde du travail. En agissant ainsi, est-on du côté du bien? Ce n’est pas vraiment de la morale, mais une lutte inévitable pour la répartition des richesses, que nous avons la chance de pouvoir mener dans un cadre démocratique.
Dans ce numéro, on parle beaucoup de pouvoir d’achat. Quels sont selon toi les axes sur lesquels le PS peut agir pour améliorer celui des plus précaires?
Dans le domaine des retraites, il y aura l’initiative pour une trei-zième rente AVS. Nous devons communiquer efficacement pour montrer à quel point ce sujet est important afin de compenser les baisses continuelles depuis une quinzaine d’années des rentes du deuxième pilier. À capital égal, celles-ci ont diminué de 20%. Il y aura également l’ini-tiative pour le plafonnement des primes d’assurance maladie à 10% du revenu qui sera soumise au vote du peuple vraisembla-blement début 2024.
Sur ce sujet, le canton de Vaud est en avance puisque ce système est déjà en vigueur chez nous. Le plafonnement des primes est la seule solution rapide et concrète à la crise du financement des soins, puisque la droite fait le jeu des lobbies chaque fois qu’on veut limiter les coûts. La bataille syndicale pour les salaires reste bien présente. Face à la pression de l’Union européenne, on doit se battre pour continuer à mieux réguler la question salariale et ne pas reculer d’un pouce sur ce thème, comme sur le service public. Les loyers représentent aussi un enjeu sur lesquels le PS devrait s’engager afin d’en obtenir un contrôle public.
▪ PROPOS RECUEILLIS PAR BERNARD MOREL